Amir ou l’atome radin

Sur une appli de rencontres, je tombe sur Amir.

Son profil respire le sérieux : costume bien taillé, lunettes sobres, une aura tranquille. Et surtout, une particularité qui attire mon attention : il travaille dans l’industrie nucléaire. Ça change des sempiternels commerciaux en reconversion spirituelle ou des “entrepreneurs” qui vendent en réalité des compléments alimentaires. Là, au moins, j’avais un homme qui manipulait des réacteurs plutôt que des slogans.

Nos univers se parlent tout de suite. Derrière son air posé, Amir semble réfléchi, agréable, même un peu intriguant. Nous échangeons quelques messages, fluides, drôles, pertinents. Et puis, il propose rapidement de s’appeler. J’accepte, curieuse.

Une heure plus tard, nous étions encore au téléphone. Une conversation passionnante : il me parle de son métier, de ses voyages, de ses lectures. De mon côté, je partage mes projets, mes envies, mes doutes. Tout est naturel, sans effort. Le genre de moment rare où le temps file et où l’on se dit que, peut-être, il y a là quelque chose d’intéressant.

Puis vient le sujet sensible : la rencontre.

Amir annonce avec aplomb qu’il préfère “recevoir chez lui”. Rien d’autre. Pas de café, pas de balade, pas même un verre en terrasse. Non, chez lui. J’esquisse une réserve. Et là, miracle d’ingénierie rhétorique, il parvient à inverser la situation : “Les filles sont tellement paranoïaques de nos jours. Toujours à craindre le pire. Moi je suis ouvert, naturel. Pourquoi perdre du temps à boire un café hors de prix quand on peut discuter tranquillement à la maison ?”

C’est dit sans agressivité, avec un calme olympien. Le problème, c’est moi. Moi et mon excès de prudence. Moi et ma méfiance injustifiée. Il réussit presque à me faire douter. Après tout, il n’a pas tort : dans le fond, nous sommes deux adultes, pourquoi pas ?

Sauf que… une petite voix intérieure (la même qui me souffle “prudence” à chaque fois qu’un profil est trop parfait) me rappelle que les rencontres chez soi, dès le premier rendez-vous, sentent plus l’économie de moyens que la recherche d’intimité.

Je continue à discuter avec lui. Amir a ce talent rare de retourner chaque objection. J’évoque la possibilité de sortir, il balaie d’un revers : “Un resto ? Trop bruyant. Un bar ? Trop superficiel. Un parc ? Il peut pleuvoir. Chez moi, au moins, c’est simple, pratique, et on est vraiment nous-mêmes.”
Tout est dit avec un tel naturel qu’on pourrait croire à une recherche de confort.

La vérité finira par m’apparaître plus crue qu’un rayon gamma.

Amir n’était pas un homme prudent, ni un adepte de l’intimité. Amir était… radin. Oui, le genre de radin qui considère que dépenser 3,80 € pour un café est une hérésie économique. Recevoir chez lui était non pas une volonté de sincérité, mais la version low-cost de la rencontre amoureuse. Pas de sorties, pas d’addition, pas de dépense inutile.

D’un coup, la logique s’éclairait. L’homme du nucléaire maniait à merveille l’art de la fission… mais celle du budget. Chaque sortie représentait pour lui une perte énergétique qu’il refusait d’investir. Et plutôt que d’assumer, il préférait envelopper son avarice d’un discours pseudo-rationnel sur la “paranoïa féminine”.

Avec le recul, je me dis que ce n’était pas un hasard si nous avions parlé plus d’une heure au téléphone. Pour lui, c’était l’option gratuite idéale : séduire sans consommer, convaincre sans investir, installer sans sortir.

Je l’imaginais parfaitement : thermostat baissé à 17 degrés, lumière éteinte dès qu’on quitte une pièce, repas composés de pâtes nature et d’eau du robinet. L’homme savait compter ses kilowatts… et ses centimes.

Alors oui, Amir était posé, agréable, et la conversation passionnante. Mais en amour comme dans le nucléaire, la gestion de l’énergie est cruciale. Et j’ai vite compris que la sienne se résumait à préserver son portefeuille.

La première rencontre chez lui ? Non merci. Je préfère payer mon propre café ☕ que découvrir, trop tard, que derrière l’ingénieur nucléaire se cache surtout un expert mondial de la radinerie affective

Nom latin : Homo Economus Atomis
Habitat : Applis de rencontre + son salon (chauffé à 17°C max)
Particularité : transforme chaque rencard en expérience low-cost

✅ Ses atouts

  • 🧠 Conversation brillante (science, voyages, lectures, il sait parler de tout)

  • 😌 Calme et posé, il donne une impression rassurante

  • 📞 Capacité à tenir des heures au téléphone sans faiblir (et sans frais)

❌ Ses failles

  • 🏠 Rencontre uniquement à domicile (“pourquoi payer un café ?”)

  • 💶 Aversion maladive pour la dépense, même minime

  • 🎭 Art consommé d’inverser la situation : si vous hésitez, c’est vous la parano

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